Alétheia, le Temps et la Symphonie des éléments
Mr Hamid Tawfiki, DG de CDG Capital, partage avec nous une nouvelle tribune " Alétheia, le Temps et la Symphonie des éléments "
« C’est ainsi que, selon l’opinion, ces choses se sont formées et qu’elles sont maintenant et que plus tard elles cesseront, n’étant plus entretenues. A chacune d’elles les hommes ont imposé le nom qui la distingue. » Le poème de Parménide
Dans la mythologie romaine, la triade précapitoline est un groupe de trois divinités: Jupiter, Mars et Quirinus, autour desquelles s'organisait la religion romaine archaïque. Selon Georges Dumézil, les sociétés d'origine indo-européennes géraient l'activité humaine au travers de ladite «tripartition», appelée aussi "trifonctionnalité", représentée, entre autre, par cette triade, qui couvrait trois fonctions : le religieux, le guerrier et l’économique. A chaque fonction correspondait sa Vérité et c'est au nom de leur vérité particulière que les humains ne cessaient de s'affronter.
Par ailleurs, chaque fonction précitée développait son propre langage. S’il est bien connu que la langue d’usage est illettrée, il ne faut pas oublier qu’une langue enrichie par une densité d’idiolecte, devient toute-puissance, elle devient ainsi la capacité de tout dire. Or, seuls ceux qui possèdent le véritable amour et la véritable sagesse découvrent la même vérité (Alètheia), et parlent tous le même langage.
Pour Dumézil, le schéma tripartite est mort en occident en 1789, quand la noblesse et le clergé ont baissé le pavillon devant le tiers État. Alors qu’auparavant, ces trois fonctions étaient exercées comme des pouvoirs séparés, hiérarchisés parfois tournants. Nous avons constaté, depuis un certain temps, un peu partout en Pantopie, un basculement très clair du schéma tripartite équilibré, vers le tourniquet tripode.
En effet, un jour, en un lieu, le religieux prenait le dessus ; un autre jour, dans une autre contrée, le guerrier harponnait le pouvoir ; et puis, depuis un certain temps, un « taureau », l’économico-financier, a pris les rênes. Il est évident qu’aujourd’hui, presque partout en Pantopie, les sujets, les projets, les promesses de l’économie et de la finance sont devenus omnipotents, totipotents. Leurs dictionnaires dominent le langage d’usage ; leurs règles, leurs désirs, leurs schémas s’imposent ; leurs nouvelles inondent, inexorablement, nos quotidiens.
“Quand la vérité manque, utilises un proverbe ou un poème pour la trouver” Proverbe Nigérian -légèrement amendé-
Avec la Pandémie, la réflexion sur le temps s’impose à nous tout naturellement. En surplombant le cours de la vie, nous ne pouvons plus imaginer celle-ci que comme une traversée, entre début et fin, et nous tournant d'emblée vers sa fin.
En dépit de l'invitation ressassée par les poètes : "cueille le jour !", nous ne concevons toujours pas ce que peut être de vivre au présent. Le présent est toujours le dernier mot du temps et du vrai. « Essayons de sortir de ce grand pli du temps » proposait un grand philosophe-sinologue. Pensons le moment saisonnier et la durée des processus. L'opportunité du moment et la disponibilité opposée au devancement.
«Souviens-toi que le Temps est un joueur avide » disait Baudelaire. Il a bien raison.
On finit, naturellement, avec l’âge, à se rendre compte que le seul secret de la vie, c’est vivre. Apprendre à aimer la vie dans sa fugacité ; Apprendre à aimer cette existence éphémère au lieu d’en rêver une autre, cet instant éphémère dans le cours infini d’une nuit éternelle.
Ecoutons aussi Montaigne qui disait : ce qui importe ce ne sont pas les savoirs, mais de se rendre plus fort devant les vicissitudes de l'existence et la perspective de la mort, ce "saut du mal-être au non-être", auquel nul n'échappera.
En d’autres termes, n'arrêtons pas d’apprendre à vivre, à souffrir, à aimer, à vieillir, apprendre les autres, apprendre des autres, apprendre le mouvement des choses et du monde, apprendre à regarder la nature, les animaux et apprendre des leçons d’eux, apprendre la vanité de nombre de choses humaines, apprendre à se connaître soi-même, apprendre une sagesse intempestive, apprendre à mourir enfin. Le glorieux chef-d’œuvre de l'homme, disait Montaigne, c'est vivre à propos.
Déjà, une première erreur nous guette depuis si longtemps. Une erreur qu'on peut considérer comme une source potentielle de vérité. En effet, l’hypothèse scientifique suppose que le temps se développe de façon linéaire, alors que le temps se plie ou se tord. Le temps classique se rapporte à la géométrie alors que le Temps peut se schématiser par une sorte de chiffonnage, une variété multiplement pliable. Le passé n’est donc plus dépassé.
Quand notre passe-partout, préféré, avait formulé cette merveilleuse idée, ma première réaction était semblable à ma première rencontre avec cette belle branche en Mathématique qu’est la Topologie. Une rencontre délicieuse, dangereuse, disruptive, du troisième type. Une vérité, une réalité, une beauté, cachée, ignorée. Telle une rencontre avec un joli spectre qu’on a fini par apprivoiser, accepter, après l’avoir dénié, dénigré. Mais une fois intégrée, une fois que l'on se l'est appropriée, cette belle idée devient une sublimité, une éminence, une exquise Alétheia. Et la lumière fut. Terre en vue !
Une seconde erreur continue à nous enivrer. Le fait qu’il y ait un schéma ancien qui plaçait la Terre au centre du monde et notre galaxie au milieu de l’univers. Tout cela pour que notre narcissisme s’en trouve satisfait. On prend conscience petit à petit que la courbe que trace l’idée de progrès dessine, ou projette dans le temps la vanité, la fatuité exprimée dans l’espace par Notre position centrale.
Osons penser le temps comme une synthèse du rythme et du tempo, osons une quatrième fonction qui nous oblige à vivre pleinement notre vie sur Terre. Ecoutons la mer, les fleuves, les volcans, les montagnes, les vents, les faunes et les flores. Biogée ai-je dit : Non, Pantope a dit.
Ne pensez-vous pas qu'il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir et que l'on savoure pleinement la Symphonie des éléments.
Mundus Patet.