Relance ou Renaissance : les lents demains qui chantent
L’avènement de cette crise nous bouscule et nous éclaire. Le caractère désormais inconnu de l’aventure humaine doit nous préparer à s’attendre à l’inattendu pour l’affronter. Découvrez une nouvelle réflexion de monsieur Hamid Tawfiki, où il est question d'avenir, de durabilité et de transformation.
« D’argile et de pierre, de bois et de sable, les pieds déchirés d’avoir trop gambadé du levant au couchant, l’Afrique, parchemin dans le midi du soleil, coulées de laves incandescentes frappant le sol sans égard, l’Afrique, masques ballets de nuit bariolée d’encre bleu sombre, l’Afrique, terre qui nous précède, est commencement de tout commencement. » Écrivain africain
Dans la rosée de notre terre ombilicale, quand l’espoir est dilué dans l’abîme, l’Homo Sapiens, accablé par son insoutenable légèreté de l’être, cherchant éperdument aux hasards des sentiers, le chemin vers la montée, il escalade vaillamment les murs, il persévère, tel Sisyphe, fils d'Éole et d'Énarété, et il finit toujours par y arriver !
Qu’est-ce qui fait que, pendant ces temps de crises, l’Homo Sapiens tient si vertical ?
Est-ce dû à la puissance de l’espérance? Oui, sans hésitation. Si, parfois, on pense que l’espoir ne dure pas, alors, il faut se rappeler que l’espérance ne s’éteint jamais, elle perdure au-delà des moments difficiles car elle s’inscrit dans le temps long. L’espérance est une confiance pure et désintéressée en l’avenir. L’espérance traduit une confiance profondément ancrée, elle porte une dimension transcendantale, elle est indissociable de la paix intérieure, de la sérénité et de la sagesse.
Quid de la puissance de l’ex-nihilo ? Oui, bien sûr ! N’oublions pas que le logiciel de la production du monde est notre BIOS éternel. La naissance est d’abord commencement, elle désigne non pas ce qui a été, mais ce qui peut arriver, non ce qu’on a déjà réalisé, mais ce qui est puissance d’être. La naissance produit l’unicité et l’inédit. Elle se conjugue dès lors au futur antérieur.
Avec la présente crise, le rêve doux d’Homo Sapiens est de faire de l’histoire qui l’attend, une Renaissance, c’est-à-dire, celle qui le pousse à voir bégayer la belle vielle histoire qui conte l’écroulement du Moyen âge. Nous pensons, secrètement, que cette époque à venir, devrait être, comme le fut la Renaissance, l’occasion d’une re-problématisation généralisée. Presque tout est à repenser. Presque tout est à commencer.
Presque tout, en fait, a déjà commencé, mais sans qu’on le sache, presque à notre insu. Nous en sommes au stade des préliminaires modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Il existe déjà, sur tous les continents, en toutes les nations, des bouillonnements créatifs, une multitude d’initiatives locales dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique. Cela étant dit, en attendant de devenir Homo Deus, Homo Sapiens se doit d’être aujourd’hui l’entrepreneur de ce nouveau monde qui advient.
Mais tout, ce qui devrait être relié, est dispersé, séparé, compartimenté. Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres, mais elles sont le vivier du futur. Comme le disait Edgar Morin, ce sont ces voies multiples qui pourront, en se développant conjointement, se conjuguer pour former la voie nouvelle qui nous dirigera vers l’encore invisible et inconcevable métamorphose. Pantope l’avait déjà dit : la transdisciplinarité et le tiers instruit sont les vrais clés de demain.
Sans le savoir et sans le vouloir, nous sommes tous aveugles sur les infirmités, les difficultés, les propensions à l’erreur comme à l’illusion, de la connaissance humaine. Aussi doit-on nous préparer à l’affrontement des risques permanents associés qui ne cessent de nous parasiter l’esprit. Il s’agit de nous préparer au combat vital pour la lucidité. Et c’est maintenant ou jamais !
« L’attendu ne s’accomplit pas, et à l’inattendu un dieu ouvre la voie. » Euripide
Par ailleurs, l’avènement de cette crise nous bouscule et nous éclaire. Le caractère désormais inconnu de l’aventure humaine doit nous préparer à s’attendre à l’inattendu pour l’affronter. Il nous faudra établir des stratégies souples et modifiables, qui permettent d’affronter les aléas, l’inattendu et l’incertain, et de modifier leur développement, en vertu des informations acquises en cours d’action. Il s'agit d'espérer en l'inespéré et œuvrer pour l'improbable. Enfin, pour paraphraser un illustre médiologue, je dirais qu’il nous faudra apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitude.
Une chose est certaine : la conviction devra être la réplique à la crise. La hiérarchisation des préférences nous oblige, l’intolérable nous transforme, de fuyard ou de spectateur désintéressé, en homme de conviction qui découvre en créant et crée en découvrant. Il nous faudra desserrer l’urgence des improvisations hâtives, des impulsions convulsives, en maintenant l’avenir à bonne distance, en le protégeant. Si, souvent, le téméraire peut croire en son immortalité, le courageux sait que la finitude crée la seule temporalité. La vérité, c’est que le temps manque déjà.
L’hyper rentabilité, la performance et l’individualisme sont portés aux nues, alors que nos humanités nous ont appris à relativiser aussi tout cela, et à chercher davantage la plénitude, l’individuation, et une liberté articulée à l’égalité. Les individus et les sociétés croient qu’ils vont pouvoir être les passagers clandestins de la morale, que la lâcheté est plus payante que le courage. Pour l’être humain, et pour les sociétés, le prix de la lâcheté et du renoncement est beaucoup plus cher à payer que le prix du courage. La lâcheté fabrique de l’érosion de la personne, de l’isolement et met en danger les structures collectives. Vaille que vaille, confinons la lâcheté à jamais !
Pour éviter de traiter les vraies questions, si difficiles, notre société se réfugie, comme on le sait, dans la représentation et le spectacle : de la terreur, de la pitié, d'une part, avec des morts et des cadavres, pour lester de réel et de grave des répétitions vaines; du pain et des jeux, de l'autre, pour susciter l'intérêt. Elle se drogue alors à la question : qui va gagner ? Sans cesse reprise, celle-ci lance et promeut un temps haletant, celui d'un suspense toujours recommencé.
La solution à la crise économique, qui nous ronge aujourd’hui, ne doit pas simplement consister à restaurer la situation antérieure, mais doit déboucher sur un changement de paradigme. Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer du nouveau. Faisons confiance à la puissance de l’intention. Il nous suffit de voir ce que nous croyons ! Car il est bien connu que les nouveautés arrivent comme un voleur dans la nuit, sur des pattes de colombe. Accueillons-les !
Penser trouve. A l’envers et à l’avers, de face et de profil, il n’est de Monde que l’esprit en exploration. Imiter répète, dont le réflexe revient. Il n’est de Monde que de flagrances mystérieuses, il n’est de Monde que d’effluves traversant l’horizon, la mesure à contretemps. Notre Terre, notre foyer verdeur de vigueur, n’est jamais revenu secoué de vertige, l’écorce fendue de part en part, le regard vivifié par ce qui est.
Ce qui est force de vie et ce qui est douleur, ce qui est légèreté et ce qui est lourd à porter, ce qui est grandeur et ce qui aberration, ce qui est vivacité retentissante et ce qui est désarroi, ce qui s’avance coupé-décalé, hors format, masqué, ce qui échappe au discours de l’ordinaire. Ce qui est : Notre chère et tendre Biogée.
Au fur et à mesure de ces dernières semaines, dans le monde, ce sont 7 300 milliards de dollars qui ont été débloqués pour limiter le contrecoup économique de la pandémie. Or, si ces fonds ont été majoritairement dirigés pour répondre aux urgences de l’instant, 4% seulement sont aujourd’hui dédiés à des projets verts. Et si la crise actuelle sonnait à son tour, l’achèvement de ce règne excessif de l’économie ? Après Jupiter et Mars, Quirinus quitterait-il le trône ? Mourait-il d’avoir dirigé, de régler encore une exploitation du monde mortelle pour lui ?
Rappelons-nous, pour finir, que le cours de l’existence est un long voyage. La grâce d’un cheminement, transcendant le regard commun, est de s’élancer, l’œil et l’oreille élevés pour voir et entendre et découvrir l’autre dans sa condition, sans artifices. N’oublions pas, chers amis, nos enfants nous regardent !
« Aucun acte vertueux n’est aussi vertueux du point de vue de notre ami ou ennemi que du notre. Par conséquent, nous devons avoir une forme définitive de l’amour qui est le Pardon. » Sage Inconnu.